A    A+

L'Ordre Nouveau

Livre II

Lorsque se furent calmés
les lugubres cris d'effroi
de l'abbé Pierre
hurlant dans le vent froid,
pour demander qu'on agglutine
dans des immeubles confortables et fiers
les pauvres gens
qu'il convient de parquer
loin des usines
des champs ou des étables,
les descendants de ces habitants
devenaient zinzins
à force de regarder les magasins
sans trouver assez d'argent
pour s'acheter ces petits riens
qui donnent à la vie du piquant,
ils entreprirent l'admirable croisade que
Saint Jové Bosé
s'était mis à prêcher
dans cette garrigue
qu'un Président très sage,
pour réduire le chômage
avait décidé de bétonner.
Il n'y eut d'abord, au long des murettes
de pierres sèches de ces fermettes
délaissées par les ploucs
que trois squatters dépenaillés
plus une fille à la cuisse gentillette
et deux chevrettes privées de bouc,
vivant de courgettes et poireaux retaillés
sur les feuilles du bord ;
de pain fait à l'ancienne
dans un four dévoreur de bois mort ;
de glands grillés, en guise de café ;
de fromage; de poisson volé au torrent
très écologiquement,
à la bohémienne.
Et puis, attirés par le fumet
de la soupe aux orties
vantée dans les verts magazines,
on salua la venue de ces fumeurs de calumet
de la Paix, où se consumait parfois
des herbes défendues au regard de la Loi.
Ces gens _ souvent chanteurs amateurs_
sautillaient d'un pied sur l'autre.
Ils se déclaraient de Jové les apôtres,
reprenant en chœur le cri
des premiers occupants : " hippie-hippie-pi ! ",
et que d'ailleurs,
on appelait ainsi.
Ils remirent en valeur
des fermes délabrées
et redevinrent les prieurs
d'archaïques prieurés.
Mais cela n'était encore que nouvelle façon
de vivre, et non révolution.
C'est alors que sont venus s'installer,
entre deux camps de nudistes du bel été,
ceux qui voulaient voir ceux
qui les premiers avaient osé
braver la mondialisation
et les affreux patrons
trop payés, suceurs de sang
des humbles, et de plus, gens
sans foi et sans aveu.
Les chênes kermès
se réjouissaient de toutes ces fesses
à l'air qui leur apportaient un engrais
abondant et parfait,
tellement plus complet que celui des brebis.
La campagne reverdit,
mais la foule s'ennuyait.
En quête d'authentique,
ils quittèrent le pays,
envahissant la Suisse, l'Italie
d'où émigraient déjà d'autres hippies.
De là enfin, gagnèrent les Amériques
où à coups de slogans dérangeants,
ils frappèrent le mal, à la source.
On y vit bientôt
les autos remplacées par des pousse-pousse
et les champs de pétrole
redevenir d'agréables
locatures, de quelques acres,
pour abriter une vache et son veau.
Entre l'artisanat des pousse-pousse et des fiacres,
c'est la fabrication des cerfs-volants
qui faisait la renommée des nations
et un commerce florissant.
Les States n'ont pas tardés à être les premiers
pour ce qui est de posséder le plus
de ces dollars _ salés
équivalant à un kilo de sel
de Guérande _ ce qui, à Bruxelles
fait deux portions de frites en cornet
et deux harengs d'Anvers,
_qui valent eux-mêmes vingt cigarettes russes _.
La République libre du Larzac
avec son pétard de H, en guise de monnaie
fit bientôt, à tous, l'effet
d'un état démoniaque,
où gaillardement,
à la face du monde civilisé, on commerçait
d'avionnettes en papier en place de cerfs-volants !
Ce qui était insupportable
aux yeux des américains, _ notables
fabricants des meilleurs planeurs
améliorés d'ailleurs
d'un pédalier _.
La guerre fut déclarée
à cet état rebelle.
Ce fut en un éclair
sans trop de décibels
une victoire fameuse
quand les cerfs-volants bombardèrent
de chnouf désherbeuse
la terre où avait commencé
cette religion nouvelle
que certains appelaient " mondialisation "
et d'autres, " anti-suivi du même nom ".

* * *


Télécharger

Haut de la page

Partager



Revoir l'ancien site web d'Adrien