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Maux dits et maux-faits de la Haute-Marche

Le Mèze (Limousin)

On commençait toujours par aller demander aux dames de l’église, quelle était la meilleure fontaine guérisseuse pour ce qu’on avait ; que ce soit du mal de corps ou d’âme.
Mais de tremper les langes dans ces eaux sanctifiées ne suffisait pas toujours pour guérir les bébés.
Alors, grands et petits allaient chez la Mélie, dont la maison située à main droite en descendant la rue de l’abreuvoir était sûrement la plus propre d’ici à Guéret, Bourges ou Châteauroux, endroits d’où il venait d’ailleurs des gens pour se faire panser des verrues, charbons de peau, eczémas ou autres misères du pauvre monde de cette Terre de souffrance.
Pour ce qui est des fontaines guérisseuses, il valait mieux lui demander aussi, à la Mélie qui allumait quatre bougies sur les hauts des quatre coins du lit de la pièce où elle recevait les gens.
Elle donnait à chaque bougie le nom d’une fontaine, et la première bougie à
s’éteindre, c’était la bonne. Ca ne l’empêchait pas pendant ce temps de te panser avec les formules et invocations, et même de te donner des remèdes à prendre.
Elle te disait s’il en fallait une cuillérée de ce sel de cuisine mêlé à du son d’avoine grise, ou une pointe de couteau de ce miel malaxé dans des feuilles de ronces séchées ( mais seulement celles tachées de rouille ).
Elle te disait où te fournir. Par exemple d’aller chercher cette herbe contre les verrues dans le mur de chez le Maxime Forisson.
Pour ton eczéma, ce n’est pas le suc de la grosse tige de chélidoine qu’il te faut, mais l’eau de cuisson quand tu auras fait bouillir les feuilles – pas longtemps – et que ce sera refroidi bien sûr.
Pour le mal de ventre des enfants, les diarrhées vertes et tout ’accompagnement, elle ne donnait rien, et surtout pas cette poudre de graines noires qu’elle faisait elle-même et prescrivait avec parcimonie aux adultes à mesurer avec un chas d’aiguille à laine, car c’est du poison, dont elle ne disait même pas le nom de la plante – « herbe d’héritage », comme elle la nommait en blaguant.
Non.
Pour les petits, elle les faisait porter chez Le Mèze, le forgeron, pour qu’il les forge – qu’il leur forge le ventre -.
Si ce n’était pas des gens du bourg, elle les faisait conduire par sa fille, La Fanchoune, car il n’était pas toujours facile à trouver, le Mèze.
 
Sa forge oui, avec toutes les raclures de sabots et les vieux fers autour du bac de granit avec l’eau noire pour y plonger les fers portés au rouge, qu’il apportait en courant jusqu’au « travail » où le cheval, le bœuf ou la vache était entravé, à s’impatienter.
Mais lui, il était souvent au bistrot, un peu plus haut.
S’il n’y était pas, elle leur demandait d’attendre là et elle allait le chercher dans la ferme où Phrosine, l’aubergiste, disait qu’il était parti !
Les gens patientaient en consommant ou en mangeant, et en essayant de calmer l’enfant qu’on accompagnait souvent à l’étable du bourricot qu’on lui faisait caresser après que le pauvre pleurnichard ait plus ou moins réussi à se soulager le ventre. Pendant ce temps, la jolie Fanchoune ne tardait pas à trouver le Mèze et à le ramener avant la nuit pour « forger le petit ».
Car ça devait forcément se passer la nuit.
Tel un démon tout rouge au milieu des flammes, torse nu, le Mèze mettait au service des gens cette pratique qu’il avait apporté du Haut-Limousin, en s’installant à Saint-Marcel.
Avec des gestes et grognements bizarres, il faisait déshabiller l’enfant qu’on plaçait alors en travers de l’enclume, son petit ventre malade, ou gonflé ou creux, battant de peur.
Après tout un rituel de regards au ciel tout rougi de son feu activé par un fagot de sarments, après avoir craché dessus en tournicotant, il se saisissait de son plus beau marteau qu’il levait bien haut, en le maintenant longuement ainsi tandis  qu’il faisait bien ressortir sa musculature que Fanchoune ne cessait d’admirer, chaque fois. Ce qui lui mettait partout des frissons et des sueurs.
Puis dans un cri qui n’en finissait pas, Le Mèze abattait sa lourde mase sur le ventre de l’enfant, en ne déviant qu’au dernier moment vers l’enclume.
Lui, il disait que c’était le démon de la maladie qui de son doigt écartait le marteau du ventre de cet innocent.
La masse rebondissait, puis venait poser, au final, son froid lourd sur le ventre  de l’enfant, qui ouvrait des yeux effrayés, au point d’en oublier de pleurer ! Et qu’on emportait aussitôt, pour le frictionner d’une huile donnée par la Mélie, et pour le réchauffer, et le consoler devant la forge où le feu suçotait le doré tout fondant des derniers brins de sarments.
En général, il était effectivement guéri. Envolée la diarrhée, relâché le ventre.
Pendant que les gens s’en allaient en remerciant, après avoir donné au Mèze une belle pièce d’argent, Fanchoune lui disait en l’aidant à ranger :
« -Tu m’as toute « retournée » moi aussi »
Il souriait alors et la poussait doucement dans la pièce où il la tenait aux fesses avec ses deux énormes mains pour escalader le grand lit de coin.
Et là, personne ne les dérangeait.
Aussi bien puisqu’il n’avait pas de femme.
Puis Fanchoune retournait chez la Mélie qui trouvait parfois qu’elle avait mis bien longtemps :
« - c’est que l’enfant bougeait et qu’il a même dû rajouter un fagot de sarments, pour l’attendre à se calmer !  »
Jusqu’au jour où, de toute évidence pour sa mère qui lavait le linge, il fallait bien
admettre qu’il y avait « un petit dans le tiroir » comme disent les gens.
La Fanchoune en avertit le Mèze qui en fut estomaqué comme s’il s’était lui- même forgé le ventre.
Mais au lieu de se fâcher comme le craignait Fanchoune, ne le voilà-t-il pas qui se met à parler mariage, si sérieusement qu’elle se mit à rêver, elle aussi, de jolie vaisselle sur le dessus de cheminée et de soupière fumante sur la table, en plus du berceau, évidemment et de la robe blanche auparavant !
Mais hélas, ce n’était pas l’idée de La Mélie, qui plaçant tout l’argent qu’elle gagnait chez un notaire, y avait repéré pour sa fille un clerc sympathique et qui, avait du bien, d’après maître Sarrazin.
Qu’est-ce qu’elle lui mit dans sa soupe à sa Fanchoune ?
Qu’est-ce qu’elle agença avec le Notaire ?
Savoir ?
En tout cas, sa fille se trouva avortée, puis fiancée sans qu’elle s’en soit vraiment rendu compte et « juste pour faire plaisir à la mère » , comme elle le disait au Mèze, ce mauvais soir de brouillasse d’automne et de fumier perdu sur les chemins par les carrioles qui l’emportaient à épandre dans les champs.
 
Or c’était l’époque des derniers loups et surtout de cette vieille louve du Bois Maillot, où le facteur prenait tous les ans deux ou trois petits à la tanière, quand la mère était en chasse. Il n’y laissant qu’une louvette pour entretenir son petit commerce car il les portait à la Mairie pour toucher la prime.
Mais c’avait fini par se savoir, car il se vantait après boire. Et il buvait souvent avec le Mèze, qui de son côté, partait le dimanche avec monsieur de Rocheblanche, le louvetier, pour les empoisonner.
Est-ce que c’est de la strychnine qui s’est retrouvée dans le bol de soupe de la Mélie et dans un gâteau porté par elle au promis de sa fille ? Et mis là par qui ? … Est-ce que c’est vrai ce que racontent ces langues de vipères du bourg, et appartenant toutes à des gens capables d’en faire autant ! ?
En tout cas, le deuil passé, Le Mèze essaya tant et plus d’avoir un petit. Sans succès.
Jamais le début du commencement d’un.
Pourquoi se marier alors ?
Ils sont restés comme ça , quasi en ménage, à se retrouver le soir. Et Fanchoune reprit le métier de sa mère.
Sauf qu’elle avait trouvé les livres.  Ceux que les gens « qui savent » appellent les Al-libert, et qu’on peut acheter aux colporteurs, mais, là où il n’y a rien guère de sérieux.
Et ces deux amoureux pleins de fiel se sont mis à faire plus souvent le mal que le bien.
On ne portait plus guère d’enfant à forger, parce que les docteurs à chapeaux mous et carrioles aux roues bandées de caoutchouc avaient maintenant des médecines contre ça, qu’ils apportaient même dans leurs mallettes.
Et puis on installait le tas de fumier un peu plus loin des sources et des puits.
On n’encavait pas n’importe où les animaux morts, comme le recommandaient les instituteurs dans ces écoles toutes neuves, plus belles et blanches que des églises de hameaux . Et surtout, on craignait que le Mèze ou la Fanchoune ne jette un sort aux enfants et aux gens des environs, contre qui, sans qu’on le sache, ils avaient peut-être de la rancœur ou de l’envie.
Ce qui n’empêchait pas ces suppôts du diable d’avoir leur clientèle.
Mais c’étaient des gens venant à la nuit tombée, et  en galoches ou chaussures, moins bruyantes que les sabots.
Ca rapportait bien encore néanmoins. Et le magot chez le notaire s’était si bien arrondi qu’ils ont pu acheter un gros domaine.
Ils auraient pu vivre et bien vivre sans pratiquer leurs manigances, dès lors.
Mais c’était plus fort qu’eux. Comme qui dirait le « Diable les poussant ».
Des fois ils s’amusaient encore à guérir parce que c’était plaisant de demander à un pauvre gratteur de mauvaise locature de lever un pied de lit  de la maison humide, d’en dénicher la vermine et de la leur faire avaler dans du vin rouge pour guérir le manque d’envie de se nourrir.
Ou encore de faire descendre trois ou quatre fois une échelle, la tête en bas et de plus les fesses à l’air, pour ce qui est des filles.
Ca c’était pour guérir « l’estomac retourné » !
Mais ils se plaisaient surtout à jeter des sorts.
Le Mèze lui, c’était de « nouer les aiguillettes » qui lui amenait plein de plaisir, autant qu’il en avait eu au lit avec la Fanchoune avant la mort de sa mère.
 
Il faisait ça au printemps, quand les humeurs des gens sont excitées. Il lui fallait aller dans les vergers enserrer d’un jonc retressé une prune ou une poire en train de se former.
Si le propriétaire ne découvre pas la manigance avant que le fruit ne soit marqué de cette méchante ceinture, c’est réglé : les hommes qui ont des femmes en âge d’avoir des petits deviendront aussi calmes que des bœufs et leur semence sera claire comme de l’eau de source.
Le Mèze avait joué à ça dans le verger d’une petite métairie qu’il voulait s’approprier.
Il s’appropria d’abord la femme de ce pauvre gars . Et puis il a eu la métairie quand l’autre s’est jeté  du haut du pont sur la Creuse.
C’est alors qu’en prime la femme lui a fait en même temps un petit gars, et la drôle d’idée de mourir en suite de couches. Ce qui consola la Fanchoune en lui brisant sa jalousie et en lui donnant à élever ce petit qu’ils ont adoptés dès qu’ils ont été mariés.
 
Maintenant il est grand, le Maxime Limousin – car c’était là le vrai nom du Mèze. On dit qu’il en connaît, de ce que sa mère et son père lui apprennent, et de ce qu’il lit dans les livres.
Car il a été « aux écoles » jusqu’au bac :
il se lance dans la politique.
Il est déjà maire de la commune.
Il est de bon service.

Pour tout ce qu’on veut, du bon ou du mauvais, pourvu qu’on soit de ses amis.
 
Mais là, je te rapporte seulement ce que disent les gens ! Car il ne faut jamais donner là–dessus son avis à soi, qui serait prendre part.


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