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Les Noms Célèbres

Livre I

Les sacs à dos des collégiens
provoquaient des scolioses
dont la tortuosité
gagnait le monde entier.
Il fallait faire quelque chose !
On décida de détruire en fanfare
cette partie des dictionnaires
présentant comme guides et phares
éclairant le monde, ces gens dont statuaires
peintres et photographes encombrent les Bottins
mondains, les panneaux de rues, les squares…
Sans que jamais d'eux on ne sache rien
d'autre que ces noms de lieu;
et qui ne méritent pas mieux peut-être,
disent certains, tout haut,
que les crottes d'oiseaux
sur les bras tendus des statues.
Justement,
rétorquaient les tenant
du " comment " et du " quand ",
et qui rarement élèvent la voix
pour demander " pourquoi "…,
il est important
que leurs figures altières
trônent dans les dictionnaires.
On passa outre néanmoins
à ces réflexes réactionnaires
car il était urgent d'agir
au point que les Eglises,
dans la foulée, _ et pour ne pas faire moins
que les autorités laïques_,
se sont mises à rayer les saints
du calendrier christiano-républicain.
On fit de même pour celui de l'Egire,
d'Israël et du céleste Empire.
Enfin, dans une émulation cynique
et démesurée, la pratique
a gagné jusqu'aux scientistes religieux
qui honorent les demi-dieux
inventeurs de produits chimiques
et formules algébriques.
Quand on eut déboulonné les plaques des rues,
des squares et des statues,
quand on eut vidé plus qu'à demi
dictionnaires et calendriers,
un vide vertigineux a saisi
soudain les populations frustrées.
Les écoliers apprenaient bien sûr,
du watt et du joule les applications et valeur
en ignorant les noms des ingénieux inventeurs.
On prénommait les enfants selon l'humeur
et le premier objet qui tombait sous les yeux.
C'était parfois " pomme de terre ", " chou-fleur ",
mais aussi " pantoufle " ou " chaussure ".
" peigne " ou " brosse à dents " étaient fréquents.
Car c'était à la fois amusant
et snobinard
d'imiter les stars.
Pour combler _ mais plus raisonnablement _
les pages abandonnées sur les dictionnaires
et les calendriers, on décida de faire paraître
chaque année
les visages et les noms
de gens tout ordinaires
dans l'ordre où on les trouve dans l'annuaire
du téléphone, à raison d'un habitant
par ville et village. Tirés au sort par l'Administration
et derrière lesquels fut glissé le premier mot
que l'on trouvait, il y a des lustres,
et à la suite : " cet(te) illustre…. "
Le résultat ne tarda pas :
on voulut mériter son titre
et le monde écrivit le plus beau chapitre
de son histoire
et le plus beau répertoire
de savants, de saints.
Parmi ceux qui cherchaient la gloire,
il y eut aussi des militaires
qui voulurent des guerres,
_excuse bien trouvée à leur existence _.
On fit alors, en France,
_ pays encombré de Grands Hommes _,
un référendum
pour savoir s'il ne fallait pas faire
une seconde partie aux dictionnaires.

* * *


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