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DEUXIEME TOMBEAU

(DES MISERES)

… Des Vichy des Bords d'Allier.
Vous y ferez la fière encore
En astiquant sournoisement de votre faux-cul,
– Plus par derrière que par devant –
Les hublots des bonnes manières
De ces voitures cossues
Dont les cuirs sentent l'encens,
Mues par extraordinaire essence.
Alors, le petit jeune homme maigre
Devenu subitement si bêtement riche
Il croira un instant à vos vingt ans
(Il faut ruser, dit Monsieur le Maire à son Vicaire –
Pour faire ouvrir en hors-les-heures
Le robinet fausse-piste de la Source Délice !).
Cui-là dira, quand sera vieux,
Au coin du recoin où fut le feu :
– Ah !… Que Vichy est cher à mon coeur
Bienheureux que je suis-qu'…
Que les allocations sociales des temps niveleurs
Y mirent Son Prix à mon Pénis-Valeur…
Et que les arbres d'or du bord de rive automnale
Ont bien raison d'avoir ratissé pour s'en graisser le tour
Eaux usées, gaz carbonique,
Etrons de chiens, crachats d'humains…
Depuis les temps dix-neuf-cent-vingt
Des gens bourgeois en vestons étriqués et fiers
Qui les plantèrent
Les beaux arbres encensoirs qui sont, entre les averses,
Ces ramures rameuteuses, comme la réclame publiée bien haut
Pour ce roulis de dérive
Venu en place de ce subtil déhanchement de vos vingt ans
Qui faisait votre charme
Avec votre teint pâle, et votre gorge de grive
Pointillée du collier de Vénus,
C'qui nous rendit esclaves de ces eaux minérales
De médicaments aux mélanges instables, et ampoules opalines
Où vogue la pénicilline amicale.
…………………………………………..
« En attendant », comme dit l'autre amateur de lieux communs,
On attend la guérison. On traîne les pantoufles. On peine
On s'essouffle tout bas
Et on finit par aimer ça, cette messe de la Sainte Patience
Où les visiteurs à mines contrites
Prennent le rythme de la confidence ;
Dehors sur la terrasse, sous le tilleul d'antan,
Je n'ai pas refermé les pliants sur le soleil
Et les pétales charmants
Snobisme de montrer à tous, les doux moments à soi
Naissance du signe de croix chez le panseur de secret :
Aux quatre coins du pavé inégal : L'oeillet, l'abélia, le lupin
Le quatrième c'est le thym qu'on trouve aussi bien là
Que là-bas, avec ceux-ci avec ceux-là ;
Dès qu'on le frotte il fume, au nez des passants.
Alors les gens regardent les pliants
Où se moule encore la forme de nos fesses. Ils disent :
Ici, ils ont eu du bon temps, ceux de cette maison-ci
C'qui fait qu'on s'porte mieux – un peu, un p'tit peu –
Au milieu des envieux.
Quand on sent qu'on est guéri,
On est plus à l'aise pour rêver de cimetières
Très carrés et très petits, sous les pins ou les cyprès
Ou les cèdres. Mais toujours
Avec ces feuillages qui trient les noix de l'ombre.
Et les amandes du soleil.
Même de bûchers antiques, on rêve
... Comme du plaisir de devenir parfum
Dans les braises du bois de santal.
A ce moment-là un magnolia dépaysé prend la relève.
C'est l'extase de la vision des Beaux, très Beaux arbres
Sur quel ton ? Avec quels mots faut-il le demander :
Pourquoi beaux et comment ? on ne sait plus où on est.
Ni où en est de la prose des vers versets ou psaumes...
– Laisse-moi prier, veux-tu, toi ?
Qu'on soit sur le prie-dieu ou sur la balançoire,
Chacun son agenouilloir, après tout !
Je demande : Ces beaux arbres qui ont vécu...
Où ont-ils donc caché ce beau fruit défendu, le Beau ?
– A l'avers du feuillage, ou sous la souche torsadée ?
Oh oui, beaux arbres qui avez mis vos branches en escalier
Près des grandes pagodes aux toits en pieds retournés
Et vous y êtes desséchés, les bras dressés
Parce que la nacre avait soudain manqué au ciel...
Simulacres d'amour en fumée d'encens,
Bon-Sens et pensée qui roulent en boules de scarabées ! !
Non-Sens et déraison de la saison partie avec les fruits !
Beaux arbres laqués,
Qui avez, en mourant, donné un baiser de feuille
Au bassin rond du jardin blanc
Je vous aime en chair et âme
Quand vous crayonnez l'horizon au charbon
Sur cette feuille en cuivre qui refroidit,
Qui est métal vivant quand on peut la toucher
Enfin, ou qui l'était avant ?...
N'faut pas passer la nuit sur des idées pareilles !
N'faut pas dramatiser. On a vu pire :
Ulysse en a bavé pour rentrer au foyer
– Ouvre le livre scholastique élastico-magique, petit,
– La voilà – vingtième page... C'est ici, Mon Père :
... Circé la sombre magicienne qui règne encore
Sur la verdure assombrie par les pleurs du Soleil
Aux rivages des empreintes d'Ulysse, Là où, là où
Là, là, où les pourceaux méditent…
(Tu te rappelles : c'étaient ses marins con…
Cu… piscents changés en eux-mêmes… ces noeuds)
… Et grignotant de leurs chicots terreux
Des glands flétris dans des parfums pervers
– (Non, n'interromps pas, papa. Non,
Ce n'était pas encore ce défoliant « D » comme désert)
Elle est apparue. Nue ou presque.
A l'aube des oiseaux qui naissent aux lèvres des dieux
Et au rivage éteignent leurs vies floconneuses
Dans ce sang d'embrun musqué
Avec des cris et des crins et des crincrins qui font penser
Au grincement des selles sur les flancs blonds
Des chevaux d'Apollon,
La voilà, soudain grandie à la taille du cyprès,
Tout vêtement craqué
– Celui, léger, qui lui ceignait les cuisses –Circé.
Elle s'accroupit bombant le ventre,
Creusant les reins de ses mains retenus
Entre deux rochers de jade :
Vers l'océan d'argent coulé par couches qui refroidissent,
Vers l'océan, par saccades qui jasent,
Fuse d'entre ses cuisses
Un ruisseau rayonnant où s'abreuvent à l'instant
L'oeil vitreux, le groin sanieux et froid
Les pauvres rescapés de la guerre de Troie !…
– Ben merde ! finir comme ça !
– Tu as bien lu, p'tit gars,
Qu'est-ce que tu attends là-donc ?
Si tu veux des compliments encore, parle-nous de l'an mil
Et de la fin du monde. Or, ils disaient quoi
Les mages, le nez dans les nuages ?
La fin du Mon-on-on-deeu :
C'est écrit dans le ciel en zébrures de merde épaisse
Qu’inventorie le grand Mécène Mécanicien, à perdre haleine.
Il y visse à l'envers et pieds en l'air, de plus,
Exprès pour l'embêter, le crotteux mortel
Et pour le rendre tel qu'on l'aime.
– Cul-nu, battu et aimant ça –
Chez les dispensateurs électroniques
De Repentir, de Foi, de Contrition, d'Absolution, chez
Ces quêteurs de lois étroites et foi en boîtes métalliques,
Fabricants de péchés ; tout haletants d'être appelés « Père »
Sans avoir jamais eu à défaire tes lacets de chaussures.
Ni peut-être, prétends-tu, tes boutons de braguette.
Ni non plus tes fermetures-éclair de soutanes profanes.
Et, là-haut, la zébrure se craquelle.
Il pleut des crapauds saignants, écartelés,
Aux grands yeux étonnés,
Tout dorés encore du soir d'été charmant
Et des chants flûtés
D’avant le tourbillon barbare. L'Immonde !
Qui de ses lèvres épaisses a bu la mare
Avec la vase et les poissons d'argent
Et qui veut apeurer le pauvre monde
Et nous en faire accroire !
Et que ce qui commence devrait avoir une fin
Et nous faire oublier que le gueuleton avalé
N'a jamais commencé à germer, à pondre, à fermenter
…………………………………………..
– C'est effrayant – Mais, mémé, demandez au papé
Ce qu'il en fut, en vérité, des roses de l'été.
…………………………………………..
A ce propos, que je vous dise deux mots d'un de chez nous
Qu'est mort vieux, mais qu'aurait fait mieux si…
Laisse parler le monsieur : il a fréquenté des gens
Qui en ont fréquenté des qui l'ont connu…
Le Centenaire (1) de George Sand… Chut !…
Dans les vapeurs vespérales de Nohant, la Dame George,
La vieille poétesse qui mérite enfin son prénom masculin,
Pour avoir acquis la moustache
En surplus de la veste de chasse, elle promène dans son parc
Sans aller plus loin que le bassin et ses rives gerbe-d'or
Ses rhumatismes, sa boiterie, son talent… Se disant
Le front tiré par un sourire sans dents : C'est bien ici
Sur la margelle que je fis à Monsieur Chopin jeu de piano
A sourdine… et à deux mains ?
Non, c'était là-bas sous cet épinat-blanc
Et là derrière le muret aux abeilles et au lierre,
De Monsieur de Musset je vis le derrière et le devant
Lui ôtant moi-même son pantalon trop grand
Et ici, sous le sapin gris, je pris entre mes dents
Le flûteau de ce pâtre. – Avait-il ses quinze ans ? –
Alors ce n'est pas mon plus jeune… De loin s'en faut !
Et, à mon cocher dans ce recoin, ce nain maudit
Je disais « oh, oh », lui faisait dia. Dia – oh !
Ce nain maudit m'escaladait la nuit
Dans la brouette du jardinier jaloux, qui, aux melons
Faisait des caresses pour les faire pousser.
M'en fit aux miens et m'apprit des carottes
 
–––––––
(1) Sachez qu'à La Châtre-en-Berry, tous les 20 ans environ, on
fête le centenaire de George Sand qui vécut à Nohant, localité
toute proche.
 
A requérir les soins ; car lui ne savait que voir
(Ayant déjà grand'peine à arroser derrière l'église
Avec son étrange objet à pomme d'arrosoir… )
Qu'il avait la main douce aussi… (Ce m'en fait souvenir)
Ce gentil médecin herboriste !…
Mais vraiment c'est à n'y pas croire !
L'herbe s'en est écartée vers les rudes bords !…
Dans ce recoin à pervenches, juste entre ces deux roches,
Sous la branche à balançoire où je satisfis un soir
Les soixante-dix mâles invités d'une noce.
Pâmée, j'admirais combien la mariée était sage
Dedans sa robe blanche,
Qui m'a regardée faire, avec ses demoiselles,
Pour répandre en Berry et Marche
- Disciple ésotérique et fidèle -
Toutes les marches et contre-marches, et fantaisies
Enfin tout ce que je savais de plus bel… »
– « Et, alors, n'en saviez pas tant que Maintenant !… »
– « Qui trouble ainsi ma rêverie ? »…
… C'est le père Léon qui a plus de cent ans
Et qui comprend dit-on ce que pensent les gens…
Il est assis au seuil de la maison du garde
Et se chauffe au soleil,
L'œil , la bouche et la braguette mi-clos
– « Qu'en sais-tu, vieux poivrot, réplique la romancière
– « C'est ce qu'on dit aux veillées des sonneurs…
Mais je n'y crois guère, à c't'heure…
– Ah ? vraiment... ? »
Alors notre George (D'jodje ! Prononce bien, toi !) se jette
A belle bouche édentée
Sur la braguette du centenaire étonné d'abord.
Puis, réjoui, revigoré
Le voilà qui roule dans les iris,
Où l'héroïne de quarante-huit le poursuit
Et fait à l'heureux vieillard qui en bave
Un membre de secours, en moins rhumatisant.
Elle s'y assied, s'y ventre-glisse
S'y boit-minaude, et fait tant et tant,
Que le vieil homme rend l'âme au milieu des iris.
C'était près d'une pierre levée
Dans un petit buisson de fleurettes du Berry avec
Roses trémières aux pétales tremblant d'immense simplicité.
On y vient aujourd'hui prier à la Toussaint
Depuis les métairies les plus bassement accroupies,
Par des chemins fondus de pluie et d'ennui,
Afin qu'en son vieil âge, et au dernier instant
On en ait tout autant.
…………………………………………..
– Oui, vous l'avez bien dite, Monsieur
L'instituteur, cette comptine charmante qu'il faudrait
Exiger – oui – que les enfants chantassent
Vous l'avez dite avec cœur, avec sentiment


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